Entretien avec Florence Chappert, experte des questions des inégalités femmes-hommes au regard de la santé et des conditions de travail

photo florence chappertFlorence Chappert coordonne le projet « Genre, égalité, santé et conditions de travail » à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). L’objectif de ce projet est de prendre en compte les situations de travail différenciées des femmes et des hommes (mixité, travail, parcours, temps) pour faire progresser la santé au travail et l’égalité professionnelle.

Comment la santé des femmes au travail a-t-elle évolué ces dernières années ?

Florence Chappert (FC) : Si l’on regarde les indicateurs de santé au travail selon le sexe, on constate que sur les 15 dernières années, il y a de plus en plus d’accidents de travail pour les femmes alors qu’ils diminuent pour les hommes, qui restent toutefois deux fois plus concernés. Il y a aujourd’hui autant si ce n’est plus d’accidents de travail et de trajet dans le secteur des services à la personne que dans celui du BTP. Les femmes ont deux fois plus de risques de contracter une tendinite (TMS) due au travail que les hommes. On en a conclu que les femmes rentrent sur le marché du travail dans des secteurs et des emplois à prédominance féminine où elles sont exposées à des risques professionnels qui sont sous-estimés (port de personnes ou de charges, travail répétitif, station débout avec faible piétinement, etc.) et où les politiques de prévention sont encore insuffisamment développées. 

Et sur le plan psychique ? Les femmes sont plus exposées que les hommes aux risques psycho-sociaux à cause des postes occupés et de l’organisation du travail. Elles travaillent dans des emplois où elles doivent répondre à des demandes urgentes, comme dans le secteur public, de la santé ou du social. Leurs métiers les exposent à une forte charge émotionnelle que ce soit pour accueillir, enseigner, ou accompagner. Elles sont donc aussi beaucoup plus concernées par les situations de tension, car elles doivent faire face à des patient·es qui souffrent, des élèves en difficulté ou à des client·es ou usager·ères mécontent·es.

« Dans leurs milieux de travail, elles sont aussi surexposées aux violences sexistes et sexuelles, mais cela fait encore l’objet d’un déni et d’un tabou – et ce en lien avec certains modes de fonctionnements, organisations ou contraintes de travail. »

Au final, on constate un sur-absentéisme des femmes de 30 à 40 % supérieur à celui des hommes qui s’explique un peu par l’arrêt maladie avant maternité mais surtout à cause de contraintes de travail très sollicitantes - et non à cause de la charge ou situation familiale (sauf pour les familles monoparentales ou les personnes séparé·es, divorcé·es, veuf·ves).

La sensibilisation à ce sujet a pourtant bien progressé ces dix dernières années avec les risques psycho-sociaux, le mouvement Metoo et tout récemment la crise du Covid qui lors du premier confinement a révélé au grand jour que les emplois à prédominance féminine dans le soin, la grande distribution, la propreté étaient très exposés aux risques biologiques de transmission du virus bien sûr, mais à bien d’autres pénibilités. Plus récemment l’installation durable du télétravail dans les entreprises interroge car les conditions de télétravail des femmes sont moins favorables que celles des hommes (accès et maîtrise des outils numériques, espace dédié à la maison, moindre définition de l’activité par exemples pour les fonctions supports et d’assistance, risque d’isolement, etc.).

Aujourd’hui, quels sont les enjeux autour de la santé des femmes dans le monde professionnel ? Quels sont les leviers à actionner pour améliorer la santé des femmes au travail ?

FC : On explique les différences femmes-hommes en matière de santé au travail à l’aide d’un modèle bâti par l’Anact « Toutes choses inégales par ailleurs » sur quatre axes :  

  • Le fait qu’au travail les femmes le plus souvent ne sont pas dans les mêmes secteurs d’activités, pas dans les mêmes métiers, emplois, tâches que les hommes ; 
  • Les femmes et les hommes sont exposé·es à des contraintes de travail différentes (rythmes, efforts, etc.) et dans un même métier, le travail peut ne pas avoir les mêmes effets sur la santé à cause des différences biologiques ; 
  • Les parcours professionnels : les femmes sont plus concernées par des parcours descendants, morcelés et précaires ; 
  • Et bien sûr, les femmes et les hommes ne sont pas dans les mêmes conditions d’articulation des temps avec la charge domestique et familiale. 

Ainsi dans le monde professionnel, les enjeux sont bien que les entreprises agissent en amont sur les quatre leviers correspondants : développer la mixité des métiers notamment pour recruter avec de meilleures conditions d’emploi des hommes dans des métiers de femmes (SAP, enseignement, puériculture, etc.) ; améliorer les conditions de travail des postes des femmes ; développer les parcours pour limiter les phénomènes d’usure professionnelle alors qu’on constate que les femmes rentrent dans des postes de premier niveau en entreprise et qu’elles n’ont pas de perspectives d’évolution ; et enfin développer des organisations de temps de travail plus inclusives permettant aux parents de mieux cumuler vie professionnelle, personnelle et familiale.

Quelles politiques publiques mettre en place pour prendre en compte les enjeux autour de la santé des femmes et améliorer les conditions et la qualité de vie au travail ?

FC : En effet, il faut aussi pouvoir agir au niveau national pour mieux réduire ces inégalités : disposer de données sexuées en santé au travail (établissement, services de santé au travail, CNAM, MSA, Branches, Mutuelles, etc.), mener des recherches sur les liens « genre, santé, travail » en faisant les liens aussi avec les facteurs environnementaux au sens large, développer des focus sur les risques émergents, développer de nouvelles normes pour les matériels, outils et équipements de protection individuels afin de prendre en compte les différences morphologiques, encourager l’expérimentation de nouvelles organisations de travail plus inclusives et en premier lieu car c’est l’actualité concernant le télétravail. 

« Ce qui est délicat pour progresser vers une meilleure santé au travail de toutes et tous, c’est de ne pas tomber dans deux travers : l’essentialisme et l’exclusion des hommes des politiques d’amélioration. »

 L’essentialisme, premièrement, qui attribue aux femmes et elles seules des compétences/qualités associées au féminin, et aux hommes des compétences/qualités associées au masculin. Et deuxièmement le fait de vouloir agir uniquement sur les conditions de travail des femmes, or il faut embarquer les hommes car prendre en compte la santé au travail des femmes, c’est améliorer les conditions de travail de toutes et tous ! Agir sur les conditions de travail, c’est plus facile que d’agir sur les stéréotypes !