Entretien avec Mathilde Rochefort, responsable Égalité Professionnelle et Diversité à la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique

photo mathilde rochefort lettre hubertine 1Mathilde Rochefort, responsable Égalité Professionnelle et Diversité à la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique (DGAFP) décrypte avec nous les nouvelles obligations en matière d’égalité professionnelle introduites par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Quelles sont les nouvelles mesures introduites par la Loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 concernant l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique territoriale ?

Vont-elles permettre aux collectivités d’améliorer la lutte contre les inégalités professionnelles ?

Mathilde Rochefort : En introduction, je rappellerai que l’égalité entre les femmes et les hommes qui a été déclarée « Grande cause du quinquennat » a connu, en 2019, des avancées notables dans la fonction publique. En effet, les engagements du Président de la République se sont concrétisés par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Représentant 20 % de l’emploi en France, la fonction publique se doit d’être exemplaire en matière d’égalité professionnelle, et être représentative de la société qu’elle sert.

Consolidant les acquis de la loi du 12 mars 2012, du protocole du 8 mars 2013 et de l’accord du 30 novembre 2018, la loi de 2019 et ses textes d’application mettent en place les conditions favorisant l’égal accès aux métiers et aux responsabilités professionnelles, la suppression des écarts de rémunération et de déroulement de carrière, l’accompagnement de la parentalité et une meilleure articulation entre les temps de vie professionnelle et personnelle. Enfin, cette loi renforce l’obligation de  prévention et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

Les mesures concrètes sont les suivantes : la mise en place dès cette année 2020 du dispositif de signalement et de traitement des situations de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes ; l’élaboration de plans d’action afin que les employeurs publics soit dans l’obligation de mettre en œuvre une politique responsable en termes d’égalité professionnelle, sous peine de pénalités ; le renforcement de réseaux de référents Egalité accessibles à tous les agents, sur tout le territoire.

Détaillons ces mesures à l’aune des collectivités territoriales.

L’État, ses établissements publics administratifs, les hôpitaux publics, les collectivités locales et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 20 000 habitants doivent élaborer, d’ici le 31 décembre 2020, un plan d’action pluriannuel pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. 

En cas d'absence d'élaboration du plan ou de non renouvellement, l'employeur défaillant est passible d'une pénalité d'un montant maximal de 1% de la rémunération brute annuelle globale de l'ensemble de ses personnels.

Par ailleurs, toutes les administrations doivent instaurer pour le 1er mai 2020 un dispositif de recueil des signalements des agents qui s’estiment victimes d’un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d’agissements sexistes. Ce dispositif permet également de recueillir les signalements des témoins. Son contenu a été précisé dans un décret du 13 mars 2020 : il doit prévoir une procédure de recueil des signalements et des procédures d'orientation des agents.

Par ailleurs, l'obligation de nominations équilibrées entre les femmes et les hommes sur les postes de direction et d'encadrement est renforcée.

Sont à présent tenus à cette obligation les collectivités et les EPCI de plus de 40 000 habitants. Un décret du 30 décembre 2019 modifiant le décret du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l'encadrement supérieur de la fonction publique fixe les conditions d’application de ces nouvelles mesures. Pour les collectivités de plus de 40 000 et de moins de 80 000 habitants, les sanctions financières par nomination manquante sont portées à 50 000 euros (contre 90 000 euros pour le reste des administrations). Ces sanctions sont applicables après les élections municipales de 2020.

 

Quelles sont les mesures phares pour réduire l’impact des inégalités présentes dans la sphère familiale sur le déroulement de carrière des femmes agentes ?

Mathilde Rochefort : Afin, de réduire l’impact des inégalités, de nombreuses mesure phares, dont je vous dresse une liste la plus exhaustive possible, ont vu le jour récemment.

Ainsi, il existe de nouveaux droits en matière d’avancement pour les agents :

Le décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, pris en application de la loi du 6 août 2019, rappelle que les lignes directrices de gestion en matière de promotion et de valorisation des parcours visent à assurer l'égalité entre les femmes et les hommes dans les procédures de promotion en tenant compte de la part respective des femmes et des hommes dans les corps et grades concernés. Ces dispositions s’appliqueront en vue des décisions individuelles prises au titre de l’année 2021.

De plus, la grossesse est désormais mieux prise en compte, tout comme la parentalité ainsi que l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Le congé parental des fonctionnaires et la disponibilité pour élever un enfant bénéficie d’un nouveau dispositif qui vise la réduction des inégalités de traitement entre les fonctionnaires des trois versants en permettant la prise en compte des périodes de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant pour l’avancement des agents concernés (très majoritairement des femmes). Il permettra la conservation des droits à avancement dans une limite de cinq années (cumulées pour les deux dispositifs du congé parental et de la disponibilité pour élever un enfant).

Le décret n°2020-529 du 5 mai 2020 prévoit également une plus grande modulation (entre deux et six mois) de la durée du congé parental et l’élargissement de la période (jusqu’aux douze ans de l’enfant) pendant laquelle la disponibilité pour élever un enfant est de droit.  Ces assouplissements visent à permettre une meilleure répartition de l’utilisation de ces dispositifs entre les deux parents.

Le décret n° 2020-467 du 22 avril 2020 relatif aux conditions d'aménagement d'un temps partiel annualisé pour les agents publics à l'occasion de la naissance ou de l'accueil d'un enfant a été publié le 24 avril 2020. Ce texte s’inscrit dans le cadre de la mise œuvre de l'action 3.5 de l'accord du 30 novembre 2018 sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. Ce décret autorise les agents publics civils élevant un enfant de moins de trois ans à cumuler la période non travaillée de leur temps partiel annualisé sur une durée ne pouvant excéder deux mois consécutifs, à l’issue de leur congé de maternité, d’adoption ou de paternité et d’accueil de l’enfant. Il s’agit pour l’agent de bénéficier d’une période d’absence supplémentaire sans pour autant voir sa rémunération suspendue.

Les agents publics civils de la fonction publique de l’Etat, hors agents relevant du code de l’Education, les agents publics de la fonction publique territoriale et les agents publics relevant de la fonction publique hospitalière entrent dans le champ du décret.

Les dispositions du décret sont applicables aux demandes présentées jusqu'au 30 juin 2022. Le ministre chargé de la fonction publique procèdera, six mois avant cette date, à une évaluation du dispositif.

Le  décret n° 2020-287 du 20 mars 2020 relatif au bénéfice de plein droit des congés accumulés sur le compte épargne-temps par les agents publics a été publié au JORF du 22 mars 2020.

Cet accord étend aux agents de l’Etat la faculté de bénéficier de plein droit et sur leur demande à l'issue d'un congé de maternité, de paternité ou d’accueil de l’enfant, d'adoption ou de solidarité familiale, des droits à congés accumulés sur un compte épargne-temps.

Ce décret, entré en vigueur le 1er mai 2020, modifie également les décrets des trois versants de la fonction publique pour prendre en compte les modifications intervenues depuis la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. En effet, le texte intègre le congé de proche aidant comme élément déclencheur du dispositif.

Le décret n° 2020-524 du 5 mai 2020 vient modifier le décret n° 2016-151 du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature. Ce décret prévoit l’attribution de jours fixes ou de jours flottants de télétravail ainsi que l’attribution d’une autorisation temporaire de télétravail.

Enfin, la circulaire du 5 novembre 2019 a introduit une nouvelle tranche de prestation d’un montant de 200 euros par an pour les couples et de 265 euros par an pour les familles monoparentales, ainsi qu’une revalorisation de 5 % des barèmes.

Le Décret n°2020-256 du 13 mars 2020 relatif au dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d'agissements sexistes dans la fonction publique s’applique à l’ensemble des collectivités, quel que soit le nombre d’agent·es. 

Pourquoi est-il essentiel que l’ensemble des collectivités territoriales développe un tel dispositif et à travers quelles modalités peuvent-elles y parvenir ?

Mathilde Rochefort : Il est essentiel que l’ensemble des collectivités territoriales puisse disposer d’un tel dispositif afin de renforcer la portée de cette mesure et d’assurer un traitement égal de l’ensemble des agents publics, l’article 80 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique insère un article 6 quater A au sein du statut général des fonctionnaires, qui prévoit la mise en place obligatoire d’un tel dispositif pour l’ensemble des administrations et qui ajoute les discriminations dans son champ, ainsi que la possibilité pour les témoins de tels actes de saisir le dispositif.

Les administrations, collectivités et établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi n° 83-634  du 13 juillet 1983 mettent en place un dispositif de signalement qui a pour objet de recueillir les signalements des agents qui s'estiment victimes d'un acte de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel ou d'agissements sexistes et de les orienter vers les autorités compétentes en matière d'accompagnement, de soutien et de protection des victimes et de traitement des faits signalés.

Le dispositif peut également être saisi par des témoins de tels actes.

Quant aux modalités, les centres de gestion ont la charge du dispositif pour le compte des collectivités locales et de leurs établissements publics qui le demandent.

Les publics concernés sont les fonctionnaires et agents contractuels des trois versants de la fonction publique, y compris les apprentis et les stagiaires. Ainsi, tous les agents publics ont accès à un tel dispositif, quelles que soient la nature de leur employeur public (administration de l’Etat, établissement public ou collectivité territoriale) et la localisation de leur poste.

Il est à noter que ce dispositif peut :

  • soit être mis en place par chaque employeur des trois versants de la fonction publique,
  • soit être mutualisé par voie de convention entre plusieurs administrations de l’Etat et leurs établissements publics, collectivités territoriales et/ou établissements publics relevant de la fonction publique hospitalière. Pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ce dispositif peut également être confié, dans les conditions prévues à l'article 26-2 de la loi du 26 janvier 1984, aux centres de gestion.