Aubervilliers et Sine Qua Non : sport dans la ville à égalité

Cihan Kaygisiz, coordinatrice de la Mission Diversité Inclusion de la Ville d’Aubervilliers et Leila Mahri, directrice du développement de l’association Sine Qua Non présentent le partenariat entre la Ville et l’Association afin de valoriser la pratique sportive des femmes dans l’espace public.

Quel est l’engagement de la ville d’Aubervilliers pour l’égalité femmes-hommes et pour l’égalité dans le sport plus précisément ?

Cihan Kaygisiz (CK) : L’engagement de la Ville d’Aubervilliers est ancien, avec notamment une mission égalité au sein des services. De nombreuses actions spécifiques à destination des femmes et filles ont été mises en place pour les inciter à faire du sport, mais aussi auprès des structures scolaires.

La ville d’Aubervilliers, comme plusieurs autres villes de Seine-Saint-Denis est composée d’une forte population précaire, avec des conditions de vie socio-économiques difficiles. Les habitant·es et plus particulièrement les femmes sont davantage victimes de discriminations et d’inégalités, surtout en ce qui concerne l’accès à la culture et au sport qui sont des facteurs d’émancipation. Plus de 86 % des quartiers sont classés politique de la ville et l’on observe une problématique importante de visibilité des femmes dans l’espace public. Les femmes sont peu présentes dans l’espace public et fréquentent peu les équipements sportifs (stades, etc.). Parfois même, elles sont complétement absentes dans certains quartiers sur-occupés par les garçons et les hommes ce qui entraîne un phénomène d’auto-censure des femmes.

Prochainement, nous allons retravailler le plan d’action pour l’égalité entre les femmes et les hommes sur la commune. Au-delà de la pratique du sport, nous souhaitons aussi travailler sur la visibilisation des femmes dans les sports, mais aussi sur le taux de féminisation des licenciées des associations sportives ou encore sur l’accès des femmes aux instances de décisions sportives. Nous aimerions aussi aller plus loin en proposant, par exemple, des modes de gardes innovants tels que les crèches ou garderies éphémères pour inciter encore plus les femmes à venir pratiquer le sport en conciliant plus facilement les temps de vie.

Pouvez-vous présenter l’association Sine Qua Non et ses actions principales ?

Leila Mahri (LM) : L’association Sine Qua Non a été créée en 2017 par Mathilde Castres qui souhaitait agir pour lutter pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles après y avoir était confrontée. Pour cela, l’association a choisi le sport qui a le pouvoir de changer des vies, notamment celles des femmes. Nos actions visent à promouvoir l’égalité, à accompagner les femmes dans leur conquête de l’espace public, et à lutter contre toutes formes de violences sexistes et sexuelles grâce au sport. Le sport est une évidence car il est une source de résilience, un booster, un facteur de fierté, un activateur de rencontre, il y a dans nos expériences sportives diverses, la constance d’un apport positif dans nos vies. Notre terrain de jeu est la rue qui est un espace de conquête pour les sportives, accessible à toutes et tous.

À l’origine, le point de départ était l’organisation d’une course annuelle pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans le sport, particulièrement dans la rue. Puis, nous avons multiplié les actions et les terrains en intervenant plus régulièrement et sur des espaces en accès libre essentiellement investis par les hommes :

  • La Sine Qua Non Run : course annuelle de 6 ou 10 km en fin de journée, ouverte à toutes les femmes et tous les hommes. Elle se tiendra le 22 octobre 2022 avec un départ place Stalingrad à Paris sur laquelle sera implanté un village avec des tables rondes autour des thématiques de vio-lences sexuelle et sexistes, mais aussi en version digitale pour s’engager qu’importe le lieu ;
  • Les Sine Qua Non Squad : trainings mensuels mixtes et gratuits sans objectif de performance pour inviter les femmes à courir dans des lieux qu’elles n’auraient pas investis d’ordinaire et pour revendi-quer la liberté de courir librement, dans la tenue de son choix et en sécurité ;
  • Les Sine Qua Non FC : sessions de football féminines dans les city stades, encadrées par des coaches, l’objectif étant la réappropriation de l’espace public par les femmes ;
  • Les Sine Qua Non Boost Her : sessions d’initiation à la boxe en plein air pour promouvoir le sport en accès libre sur l’espace public.

Nos actions sont mises en place avec le soutien de nos marraines pour la partie sportive : Lucile Woodward (running), Sarah Ourahmoune (boxe), Candice Prevost et Melina Boetti (football), et des associations partenaires : Futebol da Forca, Boxer Inside et HandsAway.

Quelles actions en faveur de l’égalité dans le sport avez-vous menées sur le territoire d’Aubervilliers avec Sine Qua Non ?

CK et LM : Les premiers contacts avec Sine Qua Non, la Ville d’Aubervilliers a été très motivée avec un réel engagement et une implication de la part des élu·es et des agent·es pour mener ce projet dans sa globalité et de manière transversale.

Ainsi, la Ville après une première Sine Qua Non Squad en 2019 a repris le concept de courses mensuelles dans un premier temps destinées aux femmes puis devenues très vite mixtes. Additionnellement, nous avons travaillé à la création de parcours tracés pour bien connaître la ville avec des encadrant·es, permettant de découvrir des quartiers jusque-là désertés par les femmes. Après la pandémie, le partenariat avec l’association s’est renforcé, et une communauté de coureuses s’est créée autour des Sin Qua Non Squad mensuelles.

À Aubervilliers, les city-stades étant nombreux (13 dont deux plateaux d’évolution), ils sont largement investis par les hommes. Afin d’introduire plus de mixité, le Sine Qua Non FC propose en partenariat avec la Ville et le tissu associatif local des sessions de football de deux heures ouvertes à tous les profils ; la première heure est consacrée aux filles (échauffement et technique) puis la seconde à des matchs si possible en mixité. Pour le lancement, nous avons conjointement organisé un tournoi féminin, et entre les matchs l’association HandsAway et la Fondation Alice Millat proposaient une sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles et un jeu pédagogique autour de la place des femmes dans le sport.

Prochainement, une session de boxe dans l’espace public va s’organiser avec Sarah Ourahmoune – championne du monde et vice-championne olympique Rio 2016 – afin de visibiliser le sport féminin et de le pratiquer en confiance dans la rue. Nous avons également pour projet de déployer des sessions de skate dans les skate-parks.

Enfin, l’association développe une application qui sera présentée dans le cadre des journées du matrimoine à Aubervilliers et dans les villes partenaires ; celle-ci met en avant le matrimoine des villes, grâce à femmes inspirantes et des parcours de courses audio guidés avec les podcasts biographiques sur ces femmes. L’application Sine Qua Non va également recenser les espaces de pratique sportive en accès libre et les lieux dédiés à l’accompagnement et au soutien des femmes victimes de violences sexuelles et sexistes.

Photo Sine Qua Non FC

 

Comment sont financés les projets de Sine Qua Non ? Souhaitez-vous développer des projets similaires dans de nouvelles collectivités ?

CK et LM : L’association Sine Qua Non est lauréate du Projet Impact 2024 du Grand Paris au titre de ses actions dans leur globalité. Le budget total pour l’intégralité du programme est de 25 000 € par ville ; l’appel à projet finance une bonne partie des actions, le reste à charge est de 5 000 € pour les communes partenaires dont Aubervilliers qui finance cette part via le Contrat ville et le service des sports.

Pour le moment, l’association est implantée essentiellement à Paris et dans le département de Seine-Saint-Denis : à Montreuil, Pantin, Saint-Denis et Aubervilliers. Notre souhait est d’étendre nos actions, c’est pourquoi nous sommes ouvertes au partenariat avec les collectivités franciliennes qui souhaiteraient s’engager dans une démarche globale de valorisation de la pratique du sport des femmes dans l’espace public.