Gennevilliers, de la recherche-action à l’intégration du genre dans les projets d’aménagements urbains

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Bérangère Rubat, chargée de mission égalité femmes-hommes présente l’engagement et les actions de Gennevilliers pour intégrer l’égalité dans l’aménagement des espaces publics, en particulier dans les espaces éducatifs et de loisirs.

En 2015, vous avez mené une recherche-action sur la prise en compte du genre dans l'aménagement des espaces publics à Gennevilliers avec Corinne Luxembourg . Quels ont été les impacts et principaux résultats ?

De 2015 à 2019, Gennevilliers a été le terrain d’une recherche universitaire participative menée par Corinne Luxembourg1. À l’époque, les questions d'analyse genrée des espaces publics étaient plus confidentielles et expérimentales. Lors de cette recherche, Corinne a multiplié les formats et les supports pour solliciter les habitant·es et développer ses données : cartes mentales, observations, marches urbaines. C’est déjà un premier enseignement : pour cette thématique il faut avoir plusieurs types d’outils pour le diagnostic. Son étude a ainsi relevé la non-mixité des espaces : sortie des écoles, espaces de jeux pour enfants, espaces sportifs. Sur la question des déplacements, son travail a permis de mettre en avant que les trajets quotidiens des femmes sont marqués par la multiplicité des déplacements en lien avec les charges familiales. Elles privilégient le bus voire la voiture ; seules c’est la marche à pied qu’elles utilisent. Le vélo n’est pas une pratique habituelle, surtout avec des enfants. Elles se déplacent peu la nuit.

Ce travail au long cours a permis une sensibilisation et un partage de cette préoccupation au sein de l’équipe des élu·es, des services municipaux notamment techniques et des agents de développement local. Par exemple, la réflexion sur la nature des agrès et leur localisation a été revue : il a été choisi des agrès adaptés à une pratique plus quotidienne et en proximité des aires de jeux pour faciliter l’accès des femmes.

Nous avons également réalisé une marche exploratoire en 2018 autour d’une sortie de métro, qui nous a aussi permis de sensibiliser les équipes et les habitant·es au sujet du harcèlement dans l’espace public. C’est aussi une contrainte qui pèse sur les femmes et une facette de l’appropriation des espaces publics. L’intervention sur les espaces urbains existants est plus délicate.

Depuis, vous avez notamment travaillé sur les enjeux de mobilité au prisme du genre. Comment avez-vous récolté des données genrées et quelles actions avez-vous mis en place ?

En début de mandat, il a été décidé de faire une enquête sur la mobilité dans le cadre du schéma directeur sur les mobilités actives. Les résultats font apparaître que les hommes utilisent plus la voiture en tant que conducteurs, et également le métro et le vélo. Les femmes utilisent plus la voiture en tant que passagères, la marche et le bus. Les jeunes (filles et garçons) utilisent peu le vélo. Les usages diffèrent également en termes de motifs, les femmes consacrant un déplacement sur quatre en lien avec la logistique familiale et les hommes un tiers.

Cette enquête sur les usages va être relancée dans les prochains mois pour analyser les évolutions et nous allons poursuivre l’analyse de données genrées. Concernant les freins à l’usage du vélo, j’espère qu’on pourra introduire la mention du harcèlement sexiste qui est tout de même différente de celle de la violence routière.

La Ville a mis en place un dispositif d’aide à l’achat du vélo qui a été légèrement plus utilisé par les femmes dans un premier temps. Cela est à vérifier sur les années suivantes. Par ailleurs, la Ville a soutenu plusieurs cycles d’intervention de vélo-écoles en lien avec les centres sociaux. Le public est là majoritairement féminin. Il existe une vraie demande, mais il faut que cette question soit bien intégrée par les équipes de proximité pour faire le relai avec les habitantes.

Vous avez également réaménagé plusieurs cours d’écoles en intégrant pleinement les enjeux de mixité et d’occupation égalitaire des espaces.

Qu’avez-vous pu observer lors du bilan de ces réaménagements et quelles mesures avez-vous prises pour aller plus loin ?

Depuis 2020, la municipalité s’est engagée dans un programme « nature en cours » qui vise à végétaliser les cours d’école tout en intégrant une réflexion sur la mixité des usages. Les usagers et usagères de la cour : enfants, enseigant·es, équipes d’animation et parents sont associé·es au diagnostic des usages et des besoins, avec l’accompagnement de l’association Des cris et des villes qui a la compétence sur l’égalité et la ville durable. Le déséquilibre des usages genrés est ainsi apparu très fortement. Les équipes techniques et le service scolarité de la Ville se sont progressivement pleinement engagé·es sur le sujet alors qu’au départ le projet était vu prioritairement sous l’angle de la transition écologique. Pour les équipes techniques, il s’agit d’être à l’écoute et de trouver les solutions qui permettent un rééquilibrage des espaces : que ce soit la relocalisation des espaces sportifs de la cour ou l’imagination d’autres usages (espaces de jeux calmes, de gymnastique, de cabanes...). Le projet prévoit un bilan avec les enfants un an après la mise en service.

Ce qui a été observé ce sont des usages plus apaisés. Mais les filles – principalement – font des retours de suroccupation et de persistance de la domination des garçons. Le réaménagement ne suffit pas ! Les enjeux de régulation, d’organisation demeurent. La sensibilisation et la formation autour de l’égalité et de la mixité dans les cours doit être poursuivie auprès des équipes, y compris d’animation.

Avec la compression des budgets, l’enjeu va être de maintenir ces interventions.

Quelles sont les orientations et futures actions en matière d’aménagement égalitaire des espaces publics à Gennevilliers ?

Afin de pérenniser et de généraliser cette approche visant à renforcer les conditions d’un égal accès à l’espace public, plusieurs pistes sont envisagées :

  • Développer de manière systématique dans les projets d’aménagement une méthodologie permettant la concertation des publics, notamment des femmes, pour la prise en compte de leurs usages et de leurs besoins. Il s’agirait d’inclure dans les cahiers des charges cette dimension ; ce qui amènerait les bureaux d’études retenus à développer cette approche. Cette question de la concertation des publics dans un perspective « d’aller vers » pourrait faire l’objet d’une vraie capitalisation et valorisation au sein des équipes d’aménagement.
  • Croiser les enjeux dans le cadre des projets éducatifs. Ainsi, sur un projet « égalité mixité sports » visant à renforcer la pratique sportive des adolescentes, nous avons intégré la question des espaces publics et de l’accès ou non des adolescentes à la pratique libre sur les espaces publics. Lors de la phase de diagnostic, nous avons donc recueilli leurs constats et les difficultés d’usages et de partage de l’espace, se traduisant notamment par des situations de harcèlement. Il s’agit donc maintenant de réfléchir collectivement à une stratégie permettant aux jeunes filles de prendre leur place de manière sécurisante et de pouvoir elles aussi bénéficier des installations pour pratiquer des activités sportives de proximité en accès libres.

1.   Enseignante-chercheuse en géographie et aménagement à l’université Sorbonne Paris Nord. Ses travaux portent sur le genre et l'espace public, l'intersectionnalité des rapports sociaux de domination.