Une étude réalisée en 2021 auprès de participant·es à des festivals de musique en Grande-Bretagne révèle que près d’un tiers des femmes y a subi du harcèlement sexuel et 8 % des agressions sexuelles. Ces violences sexistes et sexuelles ont été récemment visibilisées et médiatisées à travers le mouvement #MusicMeToo. Ce mouvement a pris de l’ampleur en 2021 grâce à des enquêtes journalistiques fouillées qui ont mis en évidence le fait que les violences sexistes et sexuelles étaient bien présentes dans ces milieux malgré les valeurs festives et positives qu’ils portent.
Les mécanismes de domination à l'oeuvre
Ces violences prennent racine dans les mécanismes de domination et d’oppression qui sont bien implantés dans la sphère musicale, dans un contexte où les hommes sont les usagers majoritaires de ces espaces, comme l’explique Bérénice Millereau , co-présidente de l’association féministe et culturelle Les Aliennes : «J’ai écrit mon mémoire de fin d’études en 2019 sur la place donnée et laissée aux femmes en tant que public dans les festivals de musique en France. [...] L’espace social public est masculin. Il est pensé par et pour les hommes, il donne énormément de pouvoir aux hommes. C’est un contexte crucial. Dans les salles de concerts et en festivals, les hommes jouent chez eux et sont en confiance. ».
Dans ce contexte, on constate en cette année de reprise des festivals de musique, que les organisateurs et organisatrices essaient de répondre à ces situations en proposant différentes initiatives. Dans ce décryptage, nous vous proposons une interview de l’association En avant toute(s) impliquée dans les festivals de musique, ainsi que des ressources utiles.
L’approche préventive de l’association En avant toute(s) dans les festivals de musique : trois questions à Thomas Humbert, directeur adjoint de l’association
- Comment et pourquoi l’association a-t-elle engagé des actions dans les festivals de musique ?
L’association En avant toute(s) anime un tchat pour les jeunes victimes de violences dans les relations amoureuses, affectives ou sexuelles, commentonsaime.fr depuis plusieurs années. Forte de cette expérience d’écoute à l’écrit auprès des jeunes, elle mène aussi des actions de prévention. Après plusieurs sollicitations de festivals de musiques, l’association a développé une approche de prévention en plusieurs volets complémentaires. L’association est toujours à la recherche d’espaces pour pouvoir informer et échanger avec les jeunes, et les festivals sont une occasion de toucher un grand nombre de jeunes.
- Quelle démarche de prévention proposez-vous ?
Notre approche est basée sur la prévention au contraire d’une approche sécuritaire ; elle est ancrée dans la pratique et nos expériences auprès de tous les publics. Nous proposons aux festivals une méthodologie avec quatre volets complémentaires et indissociables.
La première étape indispensable est la sensibilisation et formation des équipes ; aussi bien les équipes de sécurité que l’ensemble des bénévoles qui seront identifié·es au cours du festival comme faisant partie de l’organisation et qui doivent être en capacité de savoir réagir face à des agissements sexistes ou des violences sexuelles constatées ou rapportées. Après avoir compris les mécanismes des violences, un protocole de traitement des situations est préparé avec les équipes, permettant de prévoir clairement les situations d’exclusion du festival d’agresseurs identifiés.
Nous proposons ensuite d’organiser un point d’écoute dédié au sein du festival et qui soit bien identifié. Il peut s’agit d’un point fixe ou non, mais qui propose un espace isolé du bruit, un peu à l’écart permettant des discussions et un repos. Cet espace est animé par des salarié·es de l’association qui savent mener une écoute professionnelle des victimes de violences.
Nous complétons ce dispositif par ce que nous avons appelé une « brigade du consentement » qui déambule dans le festival, sur un format ludique (cape et paillettes) dans le but de faire connaître les dispositifs mis en place, mais aussi et surtout de faire de la prévention. Il ne s’agit pas de faire de la surveillance mais d’être visible pour rassurer, mais également engager le dialogue dans un objectif préventif, et enfin être averti·es si quelque chose de problématique se passe. Dans ce cas, les équipes de sécurité pourront rapidement être mobilisées pour exclure l’agresseur, et le point écoute activé pour la prise en charge de la victime.
L’efficacité de ce dispositif repose sur la communication dans le festival : annoncer ces actions dans le programme, prévoir des affichages sur le festival, prévoir des spots de sensibilisation diffusés dans les encarts publicitaires et les écrans géants tout au long du festival, comme cela a été fait par exemple à Rock en Seine (92).
- Quels sont les résultats que vous observez ? Quels changements remarquez-vous ?
Nous constatons que les victimes, dans ces espaces festifs comme ailleurs, ont d’énormes freins et difficultés pour parler des violences sexistes et/ou sexuelles subies. Sur les points d’écoute, les victimes qui viennent parler évoquent des faits qui ne sont pas nécessairement récents ni en lien avec le festival. Avoir un espace d’écoute permet de libérer la parole pour les victimes, et c’est une très bonne chose que le festival permette cela.
Quand nous avons commencé, les festivals étaient encore assez réticents à afficher une approche de prévention des violences sexistes et sexuelles, pour ne pas ternir leur image. Cette année en particulier, on sent que les choses ont commencé à changer, nous avons été énormément sollicité·es et nous n’avons pas pu répondre à toutes les demandes. Les festivals s’engagent dans une démarche de prévention intégrée plus complète à l’instar des festivals où nous intervenons cette année : Lollapalooza (75) et Coucool (75), pour les principaux.