Dans le contexte de violences conjugales, les agresseurs utilisent les outils et espaces numériques pour accroître leur contrôle sur la victime et renforcer son isolement (voir la recherche-action de l'ORVF). Cependant, les cyberviolences conjugales restent encore minimisées, comme l'ont montré deux enquêtes d'opinions récentes. C'est particulièrement le cas du fait de consulter les communications de son ou sa partenaire à son insu, qui est pourtant d'aujourd'hui clairement interdit par la loi.
Pourquoi la surveillance des communications est‑elle banalisée dans le couple ? Quelles sont les conséquences pour les victimes de ces cyberviolences ? Quelles évolutions récentes de la loi à ce sujet ? Comment s’outiller pour prévenir ces violences ?
« Dans un couple, on partage tout » : la banalisation de la cybersurveillance
Récemment, deux enquêtes ont interrogé les perceptions des répondant·es sur les cyberviolences. Dans les deux cas, il apparaît que certaines formes de cyberviolences conjugales restent encore très largement banalisées.
- L’entreprise Kaspersky a mené, avec Saopi Research, une enquête dans 21 pays. En France, 1 002 personnes âgées d’au moins 16 ans ont été interrogées sur leur vie privée numérique au sein de leur couple. Selon cette enquête, 27 % des répondant·es considèrent qu’il est « acceptable » ou « acceptable dans certaines circonstances » de surveiller son ou sa partenaire sans son consentement.
- L’association Féministes contre le cyberharcèlement a commandé une enquête à l’institut IPSOS qui a interrogé, en novembre 2021, 1 008 français·es âgé·es d’au moins 18 ans. Dans le cadre de cette étude, 1 personne sur 5 a déclaré avoir déjà surveillé, fouillé le téléphone de son ou sa partenaire sans son autorisation, et près d’1 personne sur 10 a déclaré l’avoir déjà fait plusieurs fois. De même, 35 % des répondant·es considèrent que le fait de « surveiller, fouiller le contenu du téléphone de [son ou sa] conjoint(e) sans autorisation » ne relève pas d’une situation de cyberviolence. Parmi les différentes formes de cyberviolences listées dans l’enquête, il s’agit de la forme la plus banalisée et de la forme la plus régulièrement rapportée parmi les faits commis.
Ces résultats traduisent une tolérance sociale pour ce type de cyberviolences. Cette banalisation, voire légitimation, se nourrit notamment des idées préconçues sur l’amour romantique selon lesquelles il serait nécessaire de « tout partager » au sein du couple (jusqu’à ses mots de passe). Ces représentations1 sont renforcées par les discours des agresseurs qui justifient parfois leur stratégie en invoquant le fait que si la victime refuse de montrer ses messages ou de partager ses mots de passe c’est qu’elle aurait « quelque chose à cacher » et/ou qu’elle « ne l’aimerait pas assez ». Cela n’est pas sans effet dans le contexte des violences conjugales puisque ces représentations permettent aux agresseurs d’assurer un contrôle continu et à l’insu en toute impunité, et de renverser la culpabilité lorsque cette surveillance est connue de la victime, qui doit alors se justifier de ses communications ou de son souhait de ne pas les partager.
La surveillance des communications à l'insu : une forme de (cyber)violence conjugale
Consulter les messages, l’historique des appels ou les e-mails de sa partenaire (ou de son ex) à son insu est une forme de cybersurveillance conjugale. La cybersurveillance correspond aux stratégies mises en place par l’agresseur pour avoir un contrôle continu sur les déplacements, agissements et relations de la victime. Elle peut être imposée – l’agresseur exige de connaître les mots de passe des outils et comptes en ligne – ou réalisée à l’insu. La plupart du temps, la surveillance des communications n’est pas un fait unique, mais s’inscrit dans un continuum de violences. Les différentes formes de cyberviolences se cumulent entre elles ainsi qu’avec d’autres formes de violences conjugales non numériques.
Cette surveillance des communications peut avoir des conséquences importantes pour les victimes de violences conjugales : des conséquences sur la santé mentale et physique (notamment liées au sentiment d’être surveillée en permanence). Ces violences ont aussi des effets sur les usages numériques et ainsi des conséquences sociales : restriction des communications avec ses proches et/ou avec les professionnel·les qui les accompagnent.
Faire connaître la loi pour améliorer la prévention et le repérage
L’enquête de l’association Féministes contre le cyberharcèlement indique également que 55 % des répondant·es pensent que le fait de « fouiller le téléphone portable de son/sa conjoint(e) sans son autorisation » n’est pas puni par loi, et 23 % des répondant·es ne savent pas répondre à cette question. Ces chiffres sont d’autant plus importants pour les plus jeunes (18-24 ans) qui sont 70 % à penser que cela n’est pas puni par la loi.
Or, le fait de consulter les messages, SMS ou mails d’une personne à son insu est interdit par la loi.
Le délit de violation du secret de correspondance sanctionne « le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer les correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l’installation d’appareils de nature à permettre la réalisation de telles interceptions. » (article 226-15 du Code pénal).
La loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a introduit une circonstance aggravante : lorsque ce délit est commis par le partenaire ou l’ex, il est puni de deux ans de prison et de 60 000 € d’amende.
Il y a donc un enjeu à faire connaître cette loi en matière de prévention et pour permettre aux victimes de faire valoir leurs droits. Il s’agit aussi de rappeler le droit pour toutes et tous de garder ses communications privées, même au sein du couple.
Nommer ces situations permet aussi d’améliorer le repérage des (cyber)violences conjugales. La surveillance des communications, qu’elle soit imposée ou réalisée à l’insu, relève rarement d’un fait isolé. Cela peut être un indicateur pour repérer des situations de violences conjugales et/ou d’autres formes de cyberviolences.
Le repérage de ces cyberviolences passe par le questionnement systématique. Afin d’être outillé·e à ce sujet, vous retrouverez dans le guide sur les cyberviolences conjugales des outils d’aide au repérage : une liste des questions complémentaires qu’il est possible de poser lors de l’entretien, et un outil d'auto-évaluation qui, sur le modèle du violentomètre, permet d’évaluer et d’identifier les situations qui relèvent de cyberviolences au sein du couple.
Ces outils permettent de sensibiliser sur le droit à la vie privée numérique au sein du couple, et ainsi de lutter contre la banalisation de certaines formes de cyberviolences comme la surveillance des communications au sein du couple.
(1) On retrouve aussi ces représentations dans des productions culturelles : par exemple, dans la série You (2018) le personnage principal Joe Goldberg traque les femmes dont il tombe amoureux sous couvert d’une image de « romantique » et commet de nombreux délits et crimes (vol de téléphone portable, surveillance de l’ensemble des communications numériques via le Cloud, intrusion au sein du domicile jusqu’au féminicide). Cette série avait soulevé des critiques en raison du discours de Joe, justifiant toutes les stratégies de surveillances mises en place sous couvert d’un amour passionné, et du fait que le personnage de Joe suscitait de l’empathie voir de l’amour malgré les violences commises.